Du corps ou de l’esprit, qui vieillit le plus vite ?
Le corps s’altère
Le corps s’altère avec le temps et les performances physiques diminuent avec l’âge… c’est incontestable. Il suffit d’attendre un peu, de vieillir donc, pour s’en apercevoir et le ressentir ou alors, encore jeune, de regarder ses contemporains autour de soi.
En cause : tout le système musculaire qui a la fâcheuse tendance à s’étioler, à se résorber et à se transformer en graisses. Les muscles fessiers, les plus forts de l’organisme avec les « filets », ne rempliront plus l’arrière des pantalons de ces messieurs (les tailleurs le savent bien.) et se transformeront en une généreuse bedaine, située à l’avant. Chez les dames, ils iront plutôt dans les hanches pour former la fameuse culotte de cheval. Conséquence : chaque année, la terre est de plus en plus basse et 1 kilo pèse de plus en plus lourd. On fatigue en restant longtemps debout et on a de la peine à se relever d’un fauteuil un peu profond. À cela, s’ajoutent les articulations qu’il faut dérouiller chaque matin, car elles sont grippées, et de toute façon, même à chaud, ces dernières ont perdu de l’amplitude.
Pourtant, personne ne contestera à un individu de cent ans, le fait qu’il soit « chronologiquement » vieux, au moins en nombre d’années même s’il reste très vert.
Des phénomènes curieux
Avec la profusion de centenaires en France comme dans tous les pays à haut revenu, on assiste à l’apparition de phénomènes bien curieux.
Certes, quand on voit une centenaire comme Julia Hawkins, aux USA, 105 ans, faire le 100 mètres en 1 minute 2 secondes et 95 centièmes, on trouve que ce n’est pas terrible, mais c’est déjà ça… surtout comparé au record du monde, toutes catégories d’Usain Bold qui va 6 fois plus vite. En revanche, Robert Marchand, un Français, à l’âge de 102 ans, a établi son record de l’heure en vélo (sur piste) est à 26,927 km. Le record mondial est détenu par un Belge, âgé de 28 ans seulement, avec 55,089 km, parcourus donc en 60 minutes : c’est une distance à peine double de celle de notre centenaire. Ce dernier est décédé à 109 ans dans le département de la Seine-et-Marne en 2021.
On pourrait penser que, pour arriver jusqu’à cet âge remarquable, il a dû mener une vie simple, saine et tranquille. Eh bien, non. Il a commencé à travailler avant même l’âge de 14 ans. Il fut tour à tour pompier de la ville de Paris, agriculteur au Venezuela, bûcheron au Canada. Revenu en France, il se fit maraîcher, vendeur de chaussures, marchand de vin et il ne prit sa retraite qu’à l’âge de 87 ans. Mais le plus surprenant est qu’il a repris le vélo après 66 ans. Il courut quatre Paris-Roubaix, huit Bordeaux-Paris, douze Ardéchoises et trois Marmottes… pour ne citer que ces courses d’endurance extrêmement exigeantes. À 81 ans, il relie Paris à Moscou. Mais le plus remarquable : il continua les courses après son centième anniversaire presque jusqu’à son décès.
La beauté, l’activité intellectuelle et la créativité
Il en va de même pour ce qu’on appelle la beauté, terme qu’il me serait bien difficile de définir ici. Mais on considère trop souvent que la beauté va de pair avec la jeunesse, si ce n’est avec l’amour. Erreur, car dans le laid, il y a le beau et dans le beau, il y a le laid.
L’incipit du livre « L’Amant » de Marguerite Duras commence par ces mots : un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s’est fait connaître et il m’a dit : « Je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi, je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j’aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté ». Mais tout cela n’est rien en comparaison de l’activité intellectuelle, le potentiel cognitif. Qui n’a pas entendu parler récemment Edgar Morin qui vient de fêter ses cent ans, n’a rien entendu ! Y aurait-il des concours de connaissances, d’éloquence ou d’expériences lors de débats qui le mettraient en lice face à des intellectuels plus jeunes ou des débutants que je miserais d’emblée sur lui plutôt que sur ses rivaux puînés.
Voltaire tournait ainsi ses compliments aux femmes âgées : « Nos grands-pères vous virent belle, Par votre esprit vous plaisez à cent ans, Vous méritez d’épouser Fontenelle Et d’être sa veuve longtemps ».
Ce que l’on écrit, ce que l’on pense et ce que l’on dit rejoignent le domaine mental de la création. Et quand on s’intéresse au génie créatif chez les artistes âgés, on est surpris de constater que même devenus octogénaires ou nonagénaires, ils ont continué à produire des œuvres majeures presque jusqu’à leur décès comme les peintres Picasso, Michel-Ange, Monet, Le Titien et très récemment Pierre Soulages, décédé à 102 ans.
Moralité
Moralité : si vous devez miser sur un de vos organes face au vieillissement, misez sur votre cerveau. Quoiqu’en disent les Cassandre de l’Alzheimer et les petits troubles de mémoire que vous rencontrerez un jour ou l’autre, c’est votre cerveau qui résistera le mieux aux outrages du temps et qui vous sera le plus fidèle. « Use it or lose it » ! Ce dont on ne se sert, on le perd. Quant à l’amour ? L’amour n’a pas d’âge !
Docteur Michel Allard
Docteur Michel Allard est médecin retraité et chercheur indépendant.
Il est auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages de référence sur la longévité.
Vous pouvez les commander à votre libraire habituel et les retrouver sur leslibraires.fr
Allard, M. (2019) Le bonheur n’a pas d’âge. Paris, France : Le Cherche Midi.
Allard, M. et Robine, J.-M. (2000). Les centenaires français, étude de la Fondation IPSEN 1990-2000. Paris, France : Serdi, coll. « Année gérontologique ».
Allard, M. et Thibert A. (1998). Longévité mode d’emploi. Paris, France : Le Cherche Midi.
Allard, M. (1995). Poèmes sur le temps qui passe, anthologie de la poésie française. Paris, France : Le Cherche Midi.
Allard, M., Lèbre, V; et Robine, J.-M. (1994). Les 120 de Jeanne Calment, doyenne de l’humanité. Paris, France : Le Cherche Midi, coll. « Documents ».
Allard, M. (1991). À la recherche du secret des centenaires. Paris, France : Le Cherche Midi.